Flotter...

Le Chan, c’est comme nager. Comment apprend-on à nager ? On apprend d’abord à flotter. Et comment flotte-t-on ? On se détend. On ne fait rien.

Il peut être frustrant d’apprendre à nager. Vous vous débattez et vous vous enfoncez. Vous coulez et vous buvez la tasse. Si vous êtes crispé, vous ne pouvez plus flotter. Plus vous essayez, pire c’est. Le Chan est appelé la pratique de la non-pratique. Ne faites rien et vous comprendrez.

Les bébés naissent avec la capacité de flotter. Ils flottent dans le ventre de leur mère. Nous souhaitons tous revenir à cet état originel. Nous voulons nous détendre et flotter.
Si vous êtes attentifs aux méthodes d’enseignement des maîtres Chan, vous verrez qu’elles sont toutes différentes. Mais cette multiplicité vise une même finalité. Ils saisissent toutes les occasions de ramener leurs élèves à leur nature originelle. Pas de façon figée, pas de manière stéréotypée : la méthode de la non-méthode. Tout ce qui relève de la vie relève de l’enseignement. Dès que vous essayez de fixer les choses, de décider qu’elles doivent être comme ceci et pas comme cela, vous coulez. Détendez-vous. Soyez ouvert, réceptif, ‘flottant’.

Maître Zhao Zhou (778-897) enseignait en disant aux gens d’aller boire du thé. Maître Nan Quan (Nan-ts'iuan, 748-835) mit ses moines au défi de dire une parole vraie concernant un chat. Il avait juré, s’ils s’en montraient incapables, de couper le chat en deux. Les moines ne trouvèrent rien à dire et Nan Quan fit comme il avait promis. Mais il ne coupa un chat en deux qu’une seule fois ; il n’en fit pas une habitude. Certains maîtres crient, hurlent et frappent.

Ces méthodes n’apparaissent qu’une fois seulement. La méthode de la non-méthode. Dans une situation différente le même maître enseignerait d’une manière différente.
Voilà pourquoi nous appelons le Chan la méthode sans méthode.
La passe sans porte.
Ceci est l’essence et l’esprit du Chan.

Je présente ci-dessus le Chan d’une manière très libre, très idéalisée. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Au fil du temps, le Chan est devenu de plus en plus formaliste. Certains ne pouvaient le comprendre. Par conséquent, de grands maîtres codifièrent le système et définirent très précisément les différents aspects de la pratique.

Ceci s’explique peut-être du fait que certains enseignants n’étaient pas enracinés profondément dans la pratique ou que les étudiants ne parvenaient pas à saisir l’essence des enseignements. Il fallut donc recourir à la forme, aux apparences.
A l’origine, les disciples du Bouddha s’en tenaient à ces seuls principes : faire le bien, ne pas faire le mal, purifier son esprit. Voilà l’essence de l’enseignement.

Au début, les gens comprenaient l’esprit, le sens profond, mais peu à peu, celui-ci commença à leur échapper. En conséquence, le Bouddha enseigna différents moyens de saisir le sens profond et, de ce fait, le bouddhisme compte de nombreux préceptes, règles de comportement et pratiques permettant de maîtriser l’esprit.

Certaines personnes souhaitent abandonner la tradition. Elles veulent réformer et réinventer sans comprendre l’esprit originel. Ceci peut poser problème. A l’inverse, certaines personnes suivent la tradition au pied de la lettre. Elles sont rigides, ne s’adaptent pas et, de ce fait, leur pratique perd de sa pertinence.

Je pense que nous devons suivre la tradition, mais la rendre pertinente pour le monde d’aujourd’hui. Nous devons garder l’esprit et le respect de la tradition mais évoluer en fonction des besoins de notre époque.

Nous devrions aussi avoir cette attitude dans notre vie, dans nos rapports avec les autres : revenir à l’instant présent avec un cœur et un esprit ouverts. Nous flottons. Nous revenons à ce que nous avons toujours su. A ce que nous avons toujours eu. Nous ne faisons rien. Pas de méthode. Pas de forme. Nous nous détendons et nous flottons.


Chan Master Guo Jun, Essential Chan Buddhism : The Character and Spirit of Chinese Zen, Monkish Book, 2013