Réconciliation et pardon.

 Nous pensons souvent que le contraire de la colère c'est le calme, mais le calme est un état auquel on a parfois du mal à parvenir. Au Japon j’ai participé à La Fête des Morts, en été. Pendant trois jours, la famille se réunit, souvent dans le village natal, nettoie les tombes, et fait des offrandes à tous ses morts, offrandes symboliques de riz, d'eau, de fleurs, etc.

Le dernier jour on prépare avec de l'osier, du raphia ou des petits morceaux de bois, des petits bateaux, et au crépuscule, c'est vraiment un moment très beau et très impressionnant, on part au bord d’une rivière, on place une bougie sur ce petit bateau, très frêle, et on le lâche au fil de la rivière. Et l'on voit ces petites lumières qui s'éloignent, c'est le temps où les morts doivent repartir et où les vivants doivent se retourner vers les vivants. Il y a un temps pour que les morts puissent revenir près de nous et un temps pour qu'ils puissent repartir.

Pour moi, ce temps des morts est le temps le plus marquant de réconciliation possible. D'abord avec soi-même, avec tout ce que nous n'avons pas pu faire, avec tout ce que nous n'avons pas pu dire, avec tout ce que nous avions envie d'aimer et que nous n'avons pas aimé... Et aussi avec le reste de la famille parce qu'on se retrouve, on comprend les liens, on comprend la façon dont on est reliés, rassemblés, l'importance de ces liens et je crois qu'il y a quelque chose de nouveau, quelque chose qui peut reprendre, repartir.

Alors il m’est apparu que l'antidote absolu de la colère, c'est le don. Un geste vers l'autre. La colère c'est le repli sur soi, c'est la fermeture, le refus alors que l'antidote ne peut être que le don.

Le propre de la réconciliation et du pardon est qu'ils ne peuvent être que complets. Ils ne peuvent être qu'absolument entiers; cela aussi m'a impressionnée, il y a plein de choses qui m'ont impressionnée ! Cela veut dire qu'un pardon fait avec des réserves, avec des « oui mais pas tout à fait », avec des « seulement jusqu'à la prochaine fois.. » ne marche pas. Ce n'est pas possible. Ou c'est un pardon complet, entier, total ou ça n'en est pas. Et la réconciliation, c'est pareil. Une réconciliation ne peut être que pleine, entière et totale. Une réconciliation faite en traînant les pieds n'en est pas une. C'est ou ça ou rien. Faire quelque chose de total, c'est impressionnant.

J'aime bien lire les magazines parce que l'on découvre la vie des gens. Et j’ai été frappée par cette histoire à propos d'une femme palestinienne dont l'enfant avait été grièvement blessé au cours d'un raid et qui est mort à l'hôpital. Cette femme a dit : « Je voudrais faire don de tous les organes possibles de mon enfant. ». Vous vous souvenez de cette histoire ? Et c'était vraiment une chose extraordinaire car elle a fait don à tout le monde. Sans prendre parti. Sans s'occuper de l'âge, du sexe, de la nationalité. Des palestiniens et des israéliens ont reçu des greffes de cet enfant. C'est vraiment quelque chose de total, quelque chose de complet.

Je me suis dit : « Cette femme a traversé la douleur. ». On peut dire qu'elle a été carbonisé par la douleur et de là elle est arrivée à la compassion la plus grande. Peut-être que c'est cela que nous devons faire. C'est ce « « oui que nous avons à dire à toute cette souffrance. « Oui ». Ce oui que nous aurons à dire de toute façon. Ce oui que, je pense, nous allons être obligé de dire. Je crois que notre dernière expiration ne pourra être que ça. Que ce dernier souffle du oui. Ce « oui » nous pouvons décider de le dire à n'importe quel moment de notre vie. Cette femme, à ce moment-là, l'a dit. Elle a été dans cette acceptation totale. Dans ce oui total. Dans ce don total.

Et je pense que le chemin de la réconciliation et du pardon est ce chemin où notre souffrance est vue, où notre souffrance est reconnue, où notre souffrance est acceptée, où elle est traversée, et à ce moment-là, seulement peut-être à ce moment-là il y a en nous la place pour la grâce ou la joie ou l'amour.

JoshiN Sensei