Rien à voir...

Rien à voir !

(…) Ce qui me trouble en ce moment, c’est qu’en dépit des apparences, il n’y a presque rien dans l’univers. Par exemple, quand vous voyez dans un livre d’astronomie une photo du système solaire, l’image est toute resserrée afin de tenir dans la page. La réalité est extrêmement différente. Si le soleil était un ballon de football, la terre aurait la taille d’une cacahuète éloignée de 3 km ( je n’ai pas vérifié, alors ne me citez pas).

Ensuite, la planète la plus proche serait à la hauteur d’Orléans, si l’on dit que le ballon de football est devant la gare Montparnasse et que personne n’a shooté dedans. Puis la suivante serait dans l’eau bleue des Maldives, et ainsi de suite. Il y a des petits bouts de machins qui flottent autour mais, en gros, pratiquement rien que de l’espace vide.

Étourdi par la pensée de ces vastes espaces plein de rien, j’ai regardé vers plus petit. Après tout, on peut exprimer une pensée universelle aussi bien en regardant les étoiles que les fleurs de son jardin. Mais ce que j’ai lu l’autre matin dans un train bondé m’a vraiment épaté. Apparemment, si un atome était de la taille d’une cathédrale, alors le noyau ne serait pas plus gros qu’une mouche, et – ce qui est étonnant et vraiment dérangeant, c’est que 90% de la masse (visible) de l’univers est contenue dans ces noyaux gros comme des mouches.

Comme si la cathédrale ne pesait rien, et que c’étaient ces petites mouches bourdonnant autour qui font pencher la balance. Alors, l’atome que vous voyez innocemment dessiné dans un livre de sciences – un bon gros noyau avec des petits électrons volant autour- vous induit tout autant en erreur que le dessin de ce bon vieux soleil ressemblant à une mère réchauffant ses chers petits enfants-planètes. Un atome, c’est surtout de l’espace vide. Les corps solides sont, comme l’univers, largement vides.

Alors, si nous sommes entourés, et constitués, d’espace vide, pourquoi est-ce que ma vie me semble bourrée de choses ? J’ai oublié de dire que je changeais de maison, ce qui est maintenant assez futile, puisque je suis juste en train d’essayer de bouger un espace vide très encombrant qui pèse une tonne à travers un espace lui aussi pratiquement vide, pour arriver à un autre espace vide.

Pourquoi ne pas tout laisser tomber, mettre l’essentiel de mes affaires dans un sac à dos, et partir aussi libre qu’une particule élémentaire ? Parce que cet espace bête, bien qu’essentiellement vide, est plein de souvenirs qui sont justement la partie temporelle de la bêtise.

Parce que non seulement « j’existe » dans l’espace, mais « j’existe aussi dans le temps », et c’est là qu’arrive Einstein, ce qui complique le dilemme à la Stan Laurel : ne pas être fichu de passer à travers une porte sans que cela pose des problèmes insurmontables.

En fait, mon déménagement est un déplacement dans un espace- temps à quatre dimensions, et je ne bouge pas seulement une masse, mais je déplace d’un endroit à l’autre la légère courbure de l’espace-temps causée par le poids de la partie pesante de la matière, autrement dit, si vous préférez, les mouches dans la cathédrale.

Ce qui me fait vaciller intérieurement dans un certain vertige existentiel, tout en souriant comme un clown extérieurement, et je vois pourquoi Einstein, sur cette photo célèbre, tire la langue... !

David Lowe, journaliste Trad. Joshin Sensei