« A quoi sert l'Éveil si le cœur est fermé ? » 

Comme l'oiseau qui pour voler à besoin de ses deux ailes, pour pouvoir s'épanouir, la personne de la Voie a besoin à la fois de prajna, c'est-à-dire de la connaissance juste et de la compassion sous sa forme de karuna et de metta.

Zazen* est ce qui nous aide à raffiner à la fois l'esprit, le corps et le coeur. Tout cela devient un. C'est Prajna avec la vue juste, la vue pénétrante, celle qui comprend directement notre véritable nature. Nous allons relier la vacuité et la vue juste c'est-à-dire ouvrir notre cœur et nous tourner vers les autres. C'est la pratique des bodhisattvas. Dans les poèmes, proverbes, etc. il est souvent dit : « Quand l'eau est claire, la perle apparaît. » C'est la pratique de la méditation, de zazen : ouvrir notre coeur, réaliser notre propre lumière.

 Quand tout est relié, que les deux ailes de l'oiseau sont présentes, le corps, le coeur, l'esprit agissent ensemble. C'est l'harmonie. Prajna et karuna ensemble comme un oiseau qui s'envole en utilisant ses deux ailes, tout cela agit ensemble.

Quelques mots sur les deux formes de compassion, metta et karuna. De temps en temps, j'utilise des termes sanskrits pour évacuer en quelque sorte tout ce qui se rattache aux mots de notre vocabulaire, de notre langue maternelle. Si je dis compassion, il y a déjà plein de concepts qui arrivent. Compassion, souffrir avec, compassion chrétienne, compassion : toute une idée de compassion qui n'est peut être pas vraiment metta et karuna.

Ce qui me semble la meilleure définition pour comprendre metta est « prendre soin ». Nous avons vu l'autre jour le signe « naître » en japonais, composé de trois petites feuilles et de la terre. Cela dit : lorsque les petites pousses commencent à apparaître, à sortir de terre, on est contents! Il y a eu des mois de neige, de pluie, et soudain une petite chose verte apparaît alors nous avons envie d'en prendre soin, c'est metta. Ou bien un enfant qui apprend à marcher et tombe, alors, on va vers lui, c'est metta. Ou une personne malade à qui l'on prend la main, c'est metta.

Ce côté « prendre soin », c'est la compassion dans un sens plus vaste que ce que nous imaginons généralement, il ne faut pas oublier que c'est la pratique du bodhisattva. Et n'oublions pas que metta, c'est prendre soin de nous-même et des autres également - c'est à dire de façon égale, sans faire de différence. .

Ce n'est pas seulement se tourner vers mais englober, inclure. Toute la pratique du bodhisattva inclut, enlève la différentiation entre moi et les autres. Il n'y a pas de différence entre soi les autres. Metta est prendre soin et donner la réponse juste à ce qui est là, sans faire de différence, sans regarder si c'est pour nous ou pour les autres. La pratique du bodhisattva, c'est le contraire de diviser, moi et les autres, cela me plaît /cela ne me plaît pas, etc. C'est la pratique qui inclut.

Metta, la première pratique de la compassion : prendre soin, et bien sûr cela signifie aussi l'attention car pour prendre soin et ne pas piétiner les petites feuilles qui apparaissent, il faut être présent.

Prendre de soin de moi et des autres également implique un grand changement par rapport à nos formes de pensées habituelles. Ce n'est pas possible tant que l'on se place dans la position de moi ici et les choses autour de moi, là.

Voilà où la « vacuité » intervient. Quelle interaction entre nous et les autres, cela ne peut se voir qu' à partir de cette vacuité. A partir du moment où il y a la compassion véritable, il y a la vacuité, c'est ce qui est difficile à comprendre. Pour nous le plus souvent la compassion est « moi vers »!

Vous vous souvenez l'histoire de la feuille de papier exposée par Thich Nath Hanh : « Si vous êtes moine Zen ou poète ,dans cette feuille de papier, vous pouvez voir tout l'univers. » parce qu'il y a le soleil, la lune, la pluie, les arbres, et les gens qui ont travaillé, ceux qui ont nourri les gens qui ont travaillé, ceux qui ont conduit les camions pour transporter les troncs d'arbre, ceux qui ont vendu la nourriture qu'ont mangé ceux qui ont travaillé... etc !

Cette feuille de papier, est-ce que je vais dire qu'elle existe ou bien qu'elle n'existe pas ? Ce serait aller à l'encontre de tout ce que l'on comprend en tant qu'être humain de dire qu'elle n'existe pas! Ce serait vraiment aller à l'encontre de tout ce qui m'est entre guillemets « spontanément » évident: je me sers de cette feuille de papier, j'y écris, donc je peux dire qu'elle existe.

Mais en même temps, puisqu'elle est composée, comme le dit Thich Nath Han de tout ce qui est non-papier, des arbres, des gens, du soleil, de la pluie, etc. je ne peux pas dire qu'elle existe au sens où elle a une essence, où je pourrais la détacher le monde, comme si je découpais suivant les pointillés pour avoir une feuille de papier. Elle existe en relation avec tout ce qui est. Il n'y a pas de pointillés pour découper autour de quoi que ce soit – tout est relié- , si j'ai la vue juste je vois comment cette feuille de papier est reliée aux arbres, comment elle est reliée à moi, aux autres, à tous les brins d'herbe de l'extérieur.

Or, nous essayons toujours de « découper suivant les pointillés »!

Cette feuille de papier existe et en même temps je ne peux pas la détacher du monde, il n'y a rien que je puisse détacher du monde. Alors que j'agis comme si j'étais détachée du monde sans cesse. Bien sûr que je peux dire: Jôshin existe, et en même temps je peux dire qu'elle n'existe que parce qu'elle est reliée à la moindre petite feuille, au moindre petit nuage, à toutes ces personnes, aux brins d'herbes, aux oiseaux qui passent, etc.

Dans ce sens-là, « existe » et « existe pas », les mots ne sont plus pertinents. Les mots, c'est la dualité, je ne peux pas les utiliser ici.

Joshin Sensei