Le son du silence 1.

Dans la vie quotidienne ordinaire, le silence est quelque chose qui n’intéresse personne.

On considère plus important de réfléchir, de créer, de faire des choses — autrement dit, de «remplir» le silence. En général nous écoutons un son, de la musique, des paroles mais pensons que dans le silence il n’y a rien à écouter. Quand personne ne sait quoi dire dans une réunion, les gens sont gênés, le silence met mal à l’aise.

Pourtant des concepts comme le silence et la vacuité nous montrent une direction à suivre, une chose à observer, car la vie moderne a fait éclater le silence et démolir l’espace. Nous avons créé une société dans laquelle nous sommes sans cesse actifs, nous ne savons pas nous reposer, nous détendre, ni même simplement être. Notre vie est bousculée, notre cerveau brillant s’ingénie à trouver des moyens de nous faciliter la vie et pourtant nous sommes toujours épuisés. Des gadgets sont censés nous faire gagner du temps, nous permettent de tout faire en appuyant simplement sur un bouton, les tâches ennuyeuses sont confiées à des robots et des machines — mais que faisons-nous du temps ainsi gagné?

Il semble que nous ayons toujours besoin de faire quelque chose, de nous agiter, de remplir le silence de bruit et l’espace de formes. La société met l’accent sur le fait d’avoir une vraie personnalité, d’être quelqu’un capable de prouver sa valeur. C’est la course au plus fort, le cycle incessant qui nous stresse. Quand nous sommes jeunes et que nous avons beaucoup d’énergie, nous apprécions les plaisirs de la jeunesse comme la bonne santé, l’amour, l’aventure etc. Mais tout peut s’arrêter d’un jour à l’autre, du fait d’un accident ou si nous perdons un être particulièrement cher. Ce qui nous arrive alors peut faire que tous les plaisirs des sens, la bonne santé, la vigueur, la beauté, la personnalité, l’admiration des autres, ne nous procurent plus aucun plaisir. Nous pouvons aussi devenir amers parce que nous n’avons pas atteint le degré de plaisir et de succès que, selon nous, la vie aurait dû nous accorder. Alors il faudra sans cesse faire nos preuves, être « quelqu’un » et obéir à toutes les exigences de notre personnalité.

La personnalité est conditionnée par le mental. Nous ne sommes pas nés avec une personnalité. Pour devenir une personnalité nous avons dû réfléchir et nous concevoir comme étant quelqu’un. Quelqu’un de bon ou de mauvais ou un mélange de toutes sortes de choses. La personnalité est basée sur la mémoire, sur la capacité à se souvenir de notre histoire, d’avoir une opinion sur nous-mêmes — nous nous trouvons beau ou laid, aimable ou pas, intelligent ou idiot — et ce regard peut changer selon les situations. Par contre, en développant l’esprit contemplatif, nous pouvons voir au-delà de ces images. Nous faisons l’expérience de l’esprit originel, de la conscience avant qu’elle soit conditionnée par la perception.

Si nous essayons de penser à cet esprit originel, nous serons piégés par nos facultés analytiques. Il faudra donc observer et écouter plutôt qu’essayer de découvrir comment « s’éveiller ». Méditer pour s’éveiller ne fonctionne pas non plus, parce que, tant que nous essayons d’obtenir un résultat, nous créons un « moi » qui n’est pas éveillé à cet instant.

Nous nous percevons comme des êtres non éveillés — comme une personne à problèmes ou un cas désespéré. Parfois il nous semble que la pire des choses que l’on puisse penser de nous est parfaitement exacte. Il y a une forme de perversité à prétendre que l’honnêteté consiste à croire le pire de nous-mêmes ! Je ne porte pas de jugement sur la personnalité mais je suggère que vous essayiez de savoir ce qu’elle est réellement, de façon à ne pas fonctionner à partir d’une illusion créée par vous ni à partir des idées que vous vous faites sur votre propre compte. Pour ce faire, vous pouvez apprendre à vous asseoir sans bouger et à écouter le silence. Non que cela vous apportera l’Eveil, mais cette pratique va vous aider à aller à l’encontre de vos habitudes, à l’encontre de l’agitation du corps et des émotions qui vous animent d’ordinaire.

Donc vous écoutez le silence. Vous entendez ma voix, vous entendez les bruits extérieurs mais, derrière tout cela, il y a une sorte de son aigu, presque électronique.

C’est ce que j’appelle « le son du silence ». Je trouve que c’est un moyen très pratique de concentrer l’esprit parce que, quand on commence à y prêter attention – sans pour autant s’y attacher ou s’en glorifier – , on arrive à s’entendre penser. La pensée est une sorte de son, n’est-ce pas ? Quand on pense, on s’entend penser et quand je m’entends penser, c’est comme si j’entendais quelqu’un parler. Donc j’écoute les pensées et j’écoute le son du silence.

Mais quand j’entends le silence, je constate qu’il n’y a plus de pensées. Il y a un calme et je prends note, consciemment, de ce calme. Cela me permet de reconnaître la vacuité.

La vacuité n’est pas s’enfermer ou nier quoi que ce soit, c’est un lâcher prise des tendances habituelles à l’activité incessante et à la pensée compulsive.

Ajahn Sumedho