Le son du silence 3

Par ignorance nous pouvons créer toujours plus de fausses images à partir des choses de la vie, de notre propre corps, de nos souvenirs, de notre langage, de nos perceptions, de nos opinions, de notre culture, de nos conventions religieuses — de sorte que tout devient compliqué, difficile et dualiste. Cette aliénation que ressent le monde moderne provient d’une obsession pour notre petit « moi »: nous nous sentons terriblement importants. On nous a appris que nous étions le centre du monde, de sorte que nous nous permettons de nous gonfler de notre propre importance. Même si nous pensons être un cas désespéré, nous donnons à cette pensée une énorme importance.

Nous pouvons passer des années à rencontrer des psychiatres, à discuter des causes de notre nullité, parce que c’est très important pour nous — et, dans un sens, c’est normal puisque nous devons passer toute une vie avec nous-mêmes; nous pouvons éviter les autres mais nous sommes liés à nous-mêmes.

Le concept d’anatta ou non-soi est souvent mal interprété. Certains y voient un déni du soi, quelque chose de mauvais en eux dont ils devraient se défaire. Mais anatta ne fonctionne pas ainsi. Anatta ou le non-soi est une suggestion faite à l’esprit, c’est un outil qui permet de réfléchir à ce que nous sommes réellement. Et puis, après un certain temps, il n’est plus nécessaire de se voir comme étant quoi que ce soit.

Si nous allons au bout de ce raisonnement, le corps, les émotions, les souvenirs, tout ce qui semble être inexorablement « nous » ou « nôtre », peut être considéré en termes de phénomènes qui ont pour caractéristique constante de se produire, de durer un certain temps et puis de disparaître. Quand nous sommes pleinement conscients du fait que tous les phénomènes finissent par cesser, cela nous paraît plus réel que les conditions éphémères que nous avons tendance à saisir ou qui nous obsèdent. Il faut un certain temps pour dépasser l’obstacle de l’obsession de soi mais c’est faisable. Il faut un peu de temps du fait des tendances habituelles, c’est tout.

Certains psychologues et psychiatres ont dit que nous avions besoin d’un « moi ». Il est intéressant de voir que le « moi » n’est pas quelque chose que nous devrions éliminer mais quelque chose qui doit simplement être remis à sa juste place. De plus, il doit se fonder sur ce qui est bon et bien dans notre vie, c’est-à-dire qu’il faut cesser de fabriquer une image de soi pleine de défauts et de tendances négatives.

Il est tellement facile de se percevoir de manière critique, surtout quand on se compare à d’autres ou à des images ou à de grands personnages de l’histoire. Mais quand on se compare toujours à un idéal, on ne peut qu’être critique envers soi-même parce que la vie est ainsi. La vie est une rivière qui coule, elle est changement. Parfois on est fatigué, parfois on est envahi de problèmes émotionnels, de colère, de jalousie, de peur, de toutes sortes de désirs, de toutes sortes de choses étranges dont on n’est même pas complètement conscient.

Mais cela fait partie du processus. Nous devons apprendre à reconnaître ces phénomènes quand ils se présentent, à en observer la nature: sont-ils bons ou mauvais, parfaits ou imparfaits ? De toutes façons, ils sont transitoires, autrement dit ils disparaîtront comme ils sont apparus. Ainsi nous continuons à apprendre et nous développons une force intérieure en dénouant les fils de notre conditionnement karmique.

Il est possible que la vie n’ait pas été tendre avec nous, que nous ayons des problèmes physiques, des problèmes de santé, des problèmes émotionnels. Mais en termes de Dhamma, ce ne sont pas des obstacles parce que, très souvent, ce sont précisément ces difficultés qui nous poussent à nous éveiller à la réalité de la vie. Il y a quelque chose en nous qui sait très bien qu’essayer de tout arranger, de tout rendre beau et bien, de rendre notre vie agréable, n’est pas la solution. Nous comprenons que la vie ne peut être maîtrisée ou manipulée pour nous fournir ce qu’il y a de mieux, qu’elle est beaucoup plus vaste que cela.

Donc, pour nous aider à laisser tomber ce sentiment d’être quelqu’un, avec toutes les images qui s’y attachent, il y a cette perception d’un silence sous jacent.

Nous pouvons être dans un silence où tout fait qu’un. C’est comme l’espace dans cette pièce.

C’est le même pour nous tous, n’est-ce pas ? Je ne peux pas dire que cet espace m’appartient.

Ajahn Sumedho fin en juillet